La crise du Covid-19 : quels effets sur la délinquance et les tribunaux ?

Vue d’ensemble de la délinquance en 2020

Chaque année le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) publie un bilan statistique “Insécurité et délinquance”. Ce dernier analyse les données relatives à la délinquance enregistrée par la police et la gendarmerie nationales.

En 2020, de fortes baisses de la délinquance ont été enregistrées par rapport à l’année précédente concernant les vols sans violence contre des personnes (-24 %), les cambriolages de logements (-20 %), les vols violents sans armes (-19 %), les vols d’accessoires sur véhicules (-18 %), les vols dans les véhicules (-17 %), les vols de véhicules (-13 %), les destructions et dégradations volontaires (-13 %) et les vols avec armes (-8 %). Le nombre d’homicides diminue aussi (-2 %) alors qu’il était en hausse les deux années précédentes.

En revanche, on constate une faible hausse pour des indicateurs qui augmentaient considérablement avant la crise sanitaire : les violences sexuelles (+3 % après +12 %), les escroqueries (+1 % après +11 %) et les coups et blessures volontaires (+1 % après +8 %). Cette faible hausse s’explique par la forte augmentation des violences intrafamiliales (+9 %, voir la carte ci-contre) tandis que les autres coups et blessures ont diminué (-7 %).

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Quel est le rôle du Covid-19 sur ces chiffres ?

Sur les conditions de dépôt de plainte

Les confinements ont modifié les conditions de dépôt de plainte du fait des limitations de déplacement pour la population. Dès lors les faits enregistrés en 2020 ne reflètent pas nécessairement les faits commis dans l’année. Certains faits commis pendant les confinements ont pu être signalés par les victimes ultérieurement. Or le SSMSI publie ses résultats sur la délinquance en date d’enregistrement des plaintes et non en date de commission des faits. Pour autant, les évolutions comptabilisées en date de commission des faits sont globalement assez similaires à celles en date d’enregistrement des plaintes, notamment pour les atteintes aux biens, mais cela est moins vrai concernant les atteintes à la personne.

Sur la délinquance

Certains types de délinquance ne pouvaient pas s’exercer de manière optimale du fait des confinements et couvre-feu, tandis que d’autres ont été renforcés par cette situation, comme le montre le tableau ci-contre. L’on constate que les indicateurs ayant connu une forte baisse lors du premier confinement, plus restrictif, enregistrent des baisses moins importantes voire des hausses lors du deuxième confinement (violences sexuelles, +4 % et escroqueries, +15 %).

En revanche, l’évolution des violences intrafamiliales, qui ont fortement augmenté lors du premier confinement (+5 %), connait une tendance inverse lors du deuxième confinement avec une baisse de 9% par rapport à 2019. Lors du deuxième confinement, les crèches, écoles, collèges et lycées sont en effet restés ouverts ; et les personnes sont moins restées chez elles que lors du premier confinement.

Ces indicateurs de délinquance ont enregistré une chute brutale mi-mars 2020 pendant les deux premières semaines du premier confinement avant d’entamer une lente remontée, accélérée par la sortie de ce confinement.

Ils ont ensuite de nouveau baissé à l’automne lors du début du deuxième confinement avant une remontée à partir de mi-novembre, sans toutefois rattraper les chiffres d’avant crise.

Prenons par exemple les vols violents sans armes, qui ont connus une forte baisse. Cet indicateur est composé à 40 % des vols violents sans arme enregistrés contre des femmes sur voie publique. Ces vols ayant pratiquement disparus lors du premier confinement puisque la voie publique avait été désertée, cela explique une baisse annuelle de 21 % sur ces vols contre des femmes sur voie publique, et une baisse annuelle globale de 19 % des vols sans violence contre des personnes.

Quelle(s) cause(s) à l’origine de la baisse des incarcérations ?

Le premier confinement a été marqué par une baisse rapide, massive et historique de la population carcérale de -12 000 détenus (-18 %) entre mi-mars et fin avril 2020 (voir notre page dédiée aux prisons pendant le Covid-19).

Il est indéniable que la baisse de la délinquance a entraîné une diminution du nombre de mis en cause susceptibles d’être incarcérés. Comme le montre le graphique ci-contre, la baisse annuelle (comprenant donc aussi les phases de déconfinement) est considérable pour certains indicateurs comme les vols sans violence contre des personnes. Mais est-ce seulement la baisse de la délinquance qui est à l’origine du faible taux d’incarcération en 2020, ou les tribunaux ont-ils adapté leur réponse pénale à la situation sanitaire en favorisant des peines alternatives et les libérations anticipées ?

Pour faire face rapidement à la crise du Covid-19, le gouvernement a légiféré par ordonnance. Ainsi, l’ordonnance n°2020-303 a simplifié les procédures de réduction de peines, augmenté les volumes de ces réductions et permis des assignations à domicile en fin de peine. Elle a aussi favorisé le placement extérieur (une peine de prison purgée auprès d’une structure à l’extérieur), la semi-liberté ou la libération conditionnelle. En outre les procédures de suspensions de peine (simples et médicales) ont été adaptées. Toutes ces mesures existaient déjà mais étaient peu utilisées. Pour éviter que les prisons surpeuplées ne deviennent des clusters, le Ministère de la Justice a enfin demandé aux procureurs de faciliter les libérations et de limiter les nouvelles admissions en prisons dans une circulaire du 20 mai 2020.

Néanmoins, ces instructions et procédures facilitées n’ont pas été appliquées de manière homogène sur tout le territoire français, et des disparités existent entre les différents établissements pénitentiaires et départements français.

Ces écarts permettent ainsi d’étudier les potentiels liens qui pourraient exister entre la baisse de population carcérale et la délinquance. En effet, il existait en 2020 un risque que la libération massive de détenus se traduise par une hausse de certains types de délinquance dans les mois suivants, compte tenu de l’effet “neutralisant” de la prison (largement documenté dans la littérature scientifique).

Quels liens entre la baisse de population carcérale et la délinquance ?

Décomposition de la variation de population carcérale en 2020

La baisse drastique de population carcérale en 2020 est due tant à une forte augmentation des sorties en détention qu’à une forte baisse des entrées, comme cela est visible sur le graphique ci-contre.

Nous avons vu que la baisse de flux entrant était à la fois due à la baisse de la délinquance mais aussi à une réponse pénale privilégiant les sanctions et mesures non privatives de liberté : des délinquants qui auraient été incarcérés en “temps normal” ne l’ont pas été. Le flux quotidien d’incarcérations a ainsi été divisé par deux d’avril à juin 2020, par rapport au flux moyen de l’ordre de 200 entrées par jour.

En outre l’administration a favorisé une accélération des flux sortants : de nombreux détenus qui auraient dû rester en prison pour quelques semaines ou mois ont été libérés pour réduire les risques d’épidémie de Covid-19 dans les prisons. Fin mars, un pic de 500 libérations dans la journée a même été atteint, contre 200 libérations quotidiennes en temps normal.

Dès lors, par l’effet d’une moindre neutralisation des délinquants en prison, nous aurions pu observer une hausse relative de la délinquance à l’extérieur. Selon ce principe, si les tribunaux avaient prononcé les peines de prison qu’ils prononcent généralement, et si les prisons n’avaient pas été massivement vidées, la délinquance aurait encore plus baissé en 2020. Or ce ne sont pas les résultats auxquels aboutit une étude approfondie des liens entre la baisse de population carcérale en 2020 et les chiffres de la délinquance au niveau de chaque département français.

En savoir plus sur l’effet de neutralisation

Un très faible lien entre la variation de la population carcérale et la variation de la délinquance

Pour tester cette hypothèse, nous mettons en parallèle les variations trimestrielles par rapport au début d’année 2020 dans chaque département et la variation de la délinquance locale entre 2019 et 2020, voire 2021.

Contrairement à ce qui pourrait être attendu, il n’existe pratiquement pas de lien, ou très peu, entre ces deux évolutions : les départements ayant connu une forte baisse de leur population carcérale n’ont pas connu une variation spécifique de la délinquance plus tard, par rapport aux autres départements. Plus techniquement, l’analyse jointe de deux variables n’aboutit qu’à de faibles corrélations (avec des R2 proches de 0), peu significatives (p-values supérieures à 5 %), et avec des coefficients de régression linéaire souvent proches de 0. Il ne semble donc pas y avoir de lien, ou très peu, entre ces deux phénomènes.

Dans le tableau ci-contre, un coefficient de régression linéaire négatif (en noir) revient à constater une baisse de population carcérale en parallèle d’une augmentation du nombre d’infraction dans le département. À l’inverse, un coefficient de régression linéaire positif (en rouge) signifie que la population carcérale a baissé concomitamment à une baisse de la délinquance dans le département.

La plupart des coefficients sont positifs, ce qui est contre-intuitif si l’on se réfère à l’effet de neutralisation de la prison. Néanmoins seul un résultat positif est marginalement significatif (en vert). Il concerne l’étude prenant en compte la variation de la délinquance entre 2019 et 2021. L’étude d’une période plus longue en parallèle de 2019-2020 se justifie en effet compte tenu des retards dans les plaintes (cf. supra), et du fait que les détenus libérés n’ont pas de nouveau été incarcérés après les confinements, restant pour beaucoup libres en 2021 sachant que la délinquance a repris son cours après la pandémie.

Une absence de lien statistique qui s’explique

Des résultats au-dessus de 0 qui s’expliquent

Et si l’on ne prend en compte que les Maisons d’Arrêt ?

L’étude a été menée en considérant la variation de la population carcérale de l’ensemble des établissements pénitentiaires (tableau ci-dessus) mais aussi des seules Maisons d’Arrêt, y compris les quartiers Maisons d’arrêt des Centres pénitentiaires (tableau ci-contre). En effet, ces établissements accueillent plus de 80 % des détenus en France et ce sont eux qui concentrent la grande majorité des flux entrants et sortants. Etant donné que les Maisons d’Arrêt reçoivent les prévenus en détention provisoire et des personnes dont la peine n’excède pas deux ans, elles ont été particulièrement concernées par les mesures de libération anticipées dues au Covid-19. La variation de leur population carcérale était donc plus susceptibles d’avoir un effet sur la délinquance. D’ailleurs deux des trois résultats significatifs (en vert) les concernent.

Néanmoins, les résultats et analyses demeurent globalement les mêmes : l’on n’observe que très peu, si ce n’est pas, de lien entre la variation de la population carcérale en Maison d’Arrêt et la délinquance départementale.

Ces résultats sont rassurants puisqu’ils indiquent qu’a priori, le choix politique fait au moment du premier confinement de “vider les prisons” (ralentir fortement les incarcérations et accélérer les libérations) n’a pas eu d’effet massif sur la délinquance locale à court terme. Bien sûr, des analyses plus fines devront être menées pour confirmer ces premiers résultats et tirer toutes les leçons des impacts de la période du Covid-19 sur la délinquance et la justice pénale en France.

Pour aller plus loin

SSMSI, Insécurité et Délinquance en 2020, Bilan statistique

Ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19

CERE, J.-P. & FALXA, J., “L’impact de la pandémie de COVID-19 sur les sanctions et mesures non privatives de liberté”, Rapport de recherche, Faculté de droit de l’Université de Coimbra; Penal Reform International, 04/05/2022.

DAP, “L’administration pénitentiaire au défi de la crise de Covid-19 – Actes des journées d’études internationales de la DAP des 9 et 10 décembre 2021”, Collection Travaux & Documents – n°91, Novembre 2022.