La surpopulation carcérale

La surpopulation carcérale : un problème ancien aux conséquences nombreuses

La surpopulation des prisons françaises est un problème chronique bien connu. Elle dégrade considérablement les conditions de vie des détenus, qui s’entassent souvent à 2 ou 3 dans 9 mètres carrés et ont peu accès aux activités ; elle rend le travail des surveillants plus difficile et ingrat, les réduisant souvent à un rôle de porte-clés gérant des flux ; elle expose l’Etat français à des condamnations désormais fréquentes de la part de la justice administrative et européenne pour traitements dégradants ; et surtout, elle rend caduque l’essentiel des efforts en matière de préparation à la sortie et de réinsertion des détenus.

Parce qu’elle impacte et conditionne tous les pans de la vie carcérale, la surpopulation est au cœur des réflexions sur la prison depuis au moins deux décennies. Mais les acteurs du système pénal échouent collectivement depuis 30 ans à résorber ce problème structurel : entre janvier 1990 et janvier 2020, le parc pénitentiaire a gagné environ 25 000 places, mais la population carcérale a elle-aussi augmenté de 25 000 détenus, laissant le problème de surpopulation inchangé.

L’évolution du nombre de détenus dans les prisons, grandes et petites

Le graphique ci-dessous montre que la prison peut revêtir plusieurs réalités en fonction de la taille de l’établissement.

  • D’une part, certaines Maisons d’arrêt et certains Centres Pénitentiaires hébergent plus de 1000 détenus. L’établissement le plus peuplé est Fleury-Mérogis (de l’ordre de 4000 détenus généralement). Pourquoi ces deux types d’établissement sont-ils particulièrement peuplés ?
    • En ce qui concerne les centres pénitentiaires, l’explication est aisée : il s’agit d’établissements mixtes accueillant au moins deux quartiers de détention et comptant de ce fait un nombre de détenus plus important que les autres établissements pénitentiaires.
    • Les maisons d’arrêt, quant à elles, sont initialement prévues pour accueillir les individus placés en détention provisoire, c’est-à-dire les individus non encore condamnés et présumés innocents. Ce sont les seuls établissements pénitentiaires qui peuvent accueillir des prévenus. Or la population des prévenus représente en décembre 2020 32,1% de la population carcérale totale, ce qui explique pourquoi les maisons d’arrêt sont particulièrement peuplées. Par ailleurs, l’article 717 du code de procédure pénale précise qu’”à titre exceptionnel”, les maisons d’arrêt peuvent également accueillir des individus condamnés à des peines n’excédant pas deux ans de prison. C’est très largement le cas aujourd’hui. La coexistence d’une population de détenus condamnés et de prévenus explique donc aussi le nombre important de détenus incarcérés au sein de certaines maisons d’arrêt.
  • D’autre part, certains établissements accueillent très peu de détenus comme notamment les centres de semi-liberté ou certains quartiers de centre pénitentiaire correspondant à un centre de semi-liberté. Certaines maisons d’arrêt accueillent également très peu de détenus. Elles correspondent en général à de vieux bâtiments destinés à être remplacés par de nouvelles structures à court ou moyen terme, ou à des établissements d’outre-mer.

Densité carcérale et type d’établissements pénitentiaires

La densité carcérale correspond au nombre de détenus rapporté à la capacité opérationnelle (telle qu’estimée par l’administration pénitentiaire à partir du nombre de lits). Elle est exprimée en pourcentages dans le graphique interactif ci-dessous, selon une moyenne établie entre les années 2014 et 2020. Une densité supérieure à 100% correspond à une situation de surpopulation carcérale.

  • La surpopulation carcérale est loin d’être un phénomène marginal. C’est même un phénomène très majoritaire dans les Centres Pénitentiaires et plus encore dans les Maisons d’Arrêt et quartiers Maison d’Arrêt.
  • Ce sont les maisons d’arrêt qui présentent la densité moyenne la plus élevée. Au sein même de ce type d’établissement pénitentiaire, la variation entre les établissements est très importante, comme en témoigne le profil très allongé du graphique ci-dessus. Les centres pénitentiaires sont aussi touchés par le phénomène de surpopulation carcérale. Ce n’est généralement pas le cas des centres de détention, maisons centrales, centres de semi-liberté et établissements pénitentiaires pour mineurs. Ces établissements pour peine fonctionnent en effet en pratique sous une règle de numerus clausus.
  • Ces chiffres ont d’ailleurs tendance à minorer la gravité du problème de surpopulation au niveau national puisque certains établissements fonctionnent en sous-capacité (toutes les places ne sont pas occupées) si bien que la surpopulation se concentre de manière d’autant plus brutale dans les autres établissements. En prenant en compte ces places non-utilisées (on en compte actuellement près de 4 000), on obtient le nombre de détenus en surnombre qui est de l’ordre de 12 000 détenus au 1er aout 2021.
  • Généralement, l’Administration Pénitentiaire préfère citer le taux de surpopulation, c’est-à-dire le ratio entre nombre de détenus et capacité opérationnelle totale, généralement de l’ordre de 15% (soit une densité de 115%).

La question de l’encellulement individuel

La répartition du nombre de détenus par cellule selon le type d’établissement pénitentiaire démontre une nouvelle fois que les maisons d’arrêt sont les plus affectées par la surpopulation au sein même de la cellule. L’encellulement individuel est rare en maison d’arrêt, ainsi qu’en centre pénitentiaire. En centre de détention, en maison centrale, ou encore en établissement pénitentiaire pour mineurs, il apparait comme la règle.

Il convient toutefois de nuancer le propos. Si le fait d’être deux, trois et parfois plus au sein d’une même cellule à l’espace réduit peut être particulièrement néfaste aux conditions de vie des détenus, le fait de partager une cellule avec un codétenu peut aussi prévenir l’isolement et d’éventuels comportements suicidaires.

Le graphique ci-dessus montre qu'une corrélation positive existe bien entre la densité carcérale et le nombre moyen de détenus par cellule en 2020. Plus la densité carcérale est élevée, plus le nombre moyen de détenus par cellule est élevée. Les deux variables ont en effet le même numérateur (le nombre de détenus en 2020) et des dénominateurs très corrélés (le nombre de cellules et la capacité théorique de l'établissement).

Cependant, lorsque le graphique projette uniquement les maisons d'arrêt, la corrélation est beaucoup moins évidente. Pour un nombre moyen par cellule égal, les densités carcérales peuvent être très différentes : c'est le cas lorsqu'un établissement déclare une capacité théorique supérieure au nombre de cellule et prévoit ainsi de loger plusieurs détenus dans la même cellule : il peut alors avoir un nombre moyen par cellule élevé mais une densité carcérale autour de 100%. La non-corrélation des deux variables pour les maisons d'arrêt rappelle également la grande diversité de ces établissements pénitentiaires.

Codétenus et récidive : des effets à ne pas négliger

Si l'encellulement individuel représente d'abord un enjeu juridique et social (c'est un droit depuis 1885 en France, même si son application est régulièrement repoussée à plus tard), la question des codétenus représente aussi un enjeu en matière de prévention de la récidive. En effet, de nombreux travaux en France et à l'étranger établissent un lien causal très clair entre le risque de récidive des sortants de prison et la composition du groupe de codétenus qu'ils ont eu à fréquenter, dans leur cellule ou plus largement au sein de la prison, pendant leur incarcération.

La littérature scientifique aborde cette question sous l'angle des effets de pairs qui peuvent exister entre codétenus et qui entraînent, par conformisme, embrigadement ou échanges d'informations par exemple, des liens de causalité entre la récidive des uns et celle des autres sortants de prison.

Le principal enseignement de ces travaux réside dans le fait, qu'en moyenne, deux détenus incarcérés en même temps pour des infractions similaires auront tendance à s'entraîner l'un l'autre dans des comportements de récidive pour des faits similaires. Ces interactions criminogènes sont d'autant plus fortes que les détenus ont le même âge, partagent une longue période d'incarcération en commun, et sont condamnés pour des faits où la collaboration peut être utile (trafic de stupéfiants, atteintes aux biens, etc.).

> Pour plus de détails, une liste de quelques travaux scientifiques sur le sujet apparait ci-dessous.

Pour aller plus loin

A l'étranger

Bayer, P., Hjalmarsson R., and Pozen D. (2007). "Building Criminal Capital behind Bars: Peer Effects in Juvenile Corrections." Quarterly Journal of Economics 124 (February), 1–34

Stevenson, M. (2017) "Breaking bad: Mechanisms of social influence and the path to criminality in juvenile jails." Review of Economics and Statistics 99 (5), 824–838

Drago, F. and R. Galbiati (2012) "Indirect Effects of a Policy Altering Criminal Behavior: Evidence from the Italian Prison Experiment" American Economic Journal: Applied Economics 4 (2), 199–218