Une charge de détenus par surveillant excessive en France

Le ratio du nombre de détenus rapporté au nombre de surveillants en poste (en ETPT) est un bon indicateur pour mesurer la charge de travail des surveillants à l’échelle d’un pays ou d’un établissement. Ce ratio impacte à la fois les conditions de travail des agents et la qualité de la prise en charge des détenus.

En France, la charge de travail des surveillants est nettement supérieure à la médiane européenne : d’après les dernières données disponibles (enquête SPACE 1 datant de 2024), on compte 2,9 détenus par surveillant en France, contre une médiane de 2,4 en Europe et loin des meilleurs standards internationaux (ratio de 1,2 en Norvège, 1,5 aux Pays-Bas ou 1,8 en Irlande).

A la mi-2025, la charge de travail atteint même 3,1 détenus pour 1 surveillant compte tenu du nombre record de détenus, ce qui rapproche la France des situations généralement connues en Europe de l’Est. Ces chiffres traduisent des conditions de travail très dégradées pour les quelque 30 000 agents de surveillance, et une prise en charge insuffisante pour les quelque 85 000 détenus.

Pour que la charge de travail en France atteigne le niveau médian européen (ratio de 2,4 détenus par agent), il n’existe que deux solutions qui semblent toutes les deux inatteignables avant de longues années :

  • Soit recruter près de 8 000 surveillants (+30 % par rapport au niveau actuel), alors qu’on peine à augmenter chaque année l’effectif net de +300 surveillants
  • Soit réduire de 20 000 le nombre de détenus (-25%), soit une chute supérieure à celle observée pendant la 1ère vague du Covid-19.

Une charge hétérogène d’une prison à l’autre

L’Administration pénitentiaire ne publie pas les effectifs de surveillants à l’échelle de chaque établissement pénitentiaire. Pour contourner cette lacune, nous exploitons les effectifs de surveillants en poste dans chaque établissement renseignés dans les derniers rapports de visite disponibles du CGLPL (allant des années 2013 à 2020 selon l’établissement), qui ne tiennent pas compte des roulements, temps partiels ou arrêts maladie par exemple. Nous comparons ces effectifs au nombre de personnes détenues par établissement à la même date.

  • La charge de détenus par surveillant, qui était de l’ordre de 2,5 en moyenne nationale à la date de visite, est très variable d’un type d’établissement à l’autre : dans les établissements axés sur la sécurité, comme les Maisons Centrales (MC), un surveillant gère systématiquement une faible charge de détenus. De même dans les Etablissements Pénitentiaires pour Mineurs (EPM), on compte autant voire plus de surveillants que de détenus (charge par surveillant inférieure à 1). En revanche pour les Maisons d’Arrêt (MA), les Centres de Détention (CD) et les Centres Pénitentiaires (CP), les surveillants doivent généralement gérer un nombre de détenus beaucoup plus grand, avec une charge pouvant régulièrement dépasser les 3 ou 4 détenus par surveillant.
  • Cette charge de travail des surveillants varie aussi beaucoup d’une prison à l’autre, pour un même type d’établissement. Entre les Maisons d’Arrêt par exemple, il existe des écarts considérables, la charge par surveillant pouvant aller de 1 à 5, voire de 1 à 10, entre les établissements les mieux et les moins bien dotés.

Ces disparités dans la charge de détenus impactent nécessairement les conditions de travail des surveillants, qui sont parfois très différentes d’un établissement à l’autre. Certaines prisons comme celle de Fresnes ont ainsi beaucoup de mal à attirer des surveillants candidats à la mutation, et doivent se résoudre à recruter quasi-exclusivement des surveillants-stagiaires, tout juste diplômés de l’Ecole Nationale l’Administration Pénitentiaire.

Ces disparités ont aussi des conséquences pour les conditions de détention des détenus. Le manque de surveillants dans un établissement peut entraîner un accès restreint aux parloirs ou aux activités, déshumaniser les rapports entre surveillants et détenus, et laisser plus de place aux agressions et au racket par exemple.

Le personnel administratif en prison : des disparités tout aussi marquées

Des disparités similaires se retrouvent concernant la charge des personnels administratifs qui exercent dans les établissements, si l’on en croit les données récoltées lors des visites du CGLPL.

Là encore, les Maisons d’Arrêt, les Centres de Détention et les Centres Pénitentiaires concentrent les charges de détenus par personnel les plus élevées, et aussi les plus forts écarts au sein d’un même type d’établissement.

Comparaison des personnels administratifs et de surveillance

Des personnels largement insatisfaits au travail

Les agents pénitentiaires, au premier rang desquels les 30 000 surveillants, se caractérisent une forte insatisfaction vis-à-vis de leur travail, y compris comparativement aux autres agents du ministère de la justice (magistrats, personnels administratifs, etc.).

C’est ce qu’indiquent les résultats ci-contre du dernier baromètre de la mutuelle spécialisée MMS, confirmant les enquêtes précédentes de 2022 et 2019.

Parmi les chiffres de 2024, on peut noter que :

  • La satisfaction au travail n’atteint que 4,1 sur 10 en moyenne (contre 4,4 parmi tous les agents du ministère de la justice)
  • Les agents de la pénitentiaire se sentent modérément utiles (note de 5,9/10), comparé aux autres agents du ministère comme les magistrats (7,3/10)
  • Ils se sentent peu reconnus dans leur travail, à la fois à l’extérieur par l’opinion publique (82%) mais aussi en interne par leur hiérarchie (54%, contre 27% parmi tous les agents du ministère)
  • Les agents pénitentiaires connaissent un fort niveau de stress au travail (7,6/10)
  • 78% disent subir régulièrement des comportements agressifs ou impolis
  • Deux tiers présentent des troubles du sommeil et 61% souffrent de douleurs chroniques (+6 points depuis 2022)

Ces conditions dégradées, cette insatisfaction voire ce mal-être au travail, expliquent largement les difficultés RH de l’Administration pénitentiaire, à la fois pour fidéliser les agents tout au long de leur carrière et pour attirer de nouvelles recrues chaque année.

Agressions physiques contre le personnel : quelle réalité ?

Au-delà du fort sentiment d’insécurité et de stress exprimé par les agents, qu’en est-il de la réalité des violences physiques et verbales subies ? Les statistiques sur les agressions de détenus à l’encontre du personnel sont parcellaires, changeantes, et donc difficiles à consolider et interpréter – en particulier depuis les années récentes.

Depuis 2015, l’Administration Pénitentiaire indique en effet dans ses Rapports Annuels de Performance (les RAP sont soumis au Parlement et rendus publics) travailler à “la consolidation de ses données en croisant les sources entre les relevés d’incidents des établissements et les déclarations d’ITT faites par les directions interrégionales“. Dans ses RAP récents, la DAP a choisi de ne plus fournir de chiffres sur les agressions physiques avec interruption temporaire de travail (ITT), se contentant de fournir des chiffres globaux mélangeant tous les types d’agressions physiques. D’un RAP annuel à l’autre, les indicateurs statistiques changent d’ailleurs. Enfin, l’Administration Pénitentiaire n’a jamais produit de chiffres sur les agressions plus fins qu’à l’échelle nationale (par direction interrégionale voire établissement par exemple). Tous ces éléments empêchent un suivi précis et rigoureux des violences subies par les personnels en détention. Des critiques similaires pourraient d’ailleurs être faites concernant les violences que subissent les détenus.

L’ancien directeur de la DAP Laurent Ridel avait souhaité créer un “observatoire des violences en détention”, qui n’a malheureusement pas amélioré le niveau d’information publique sur le sujet.

Agressions physiques contre le personnel

À partir des données parcellaires publiées par l’Administration Pénitentiaire

année 2009201020112012201320142015201620172018
Agressions2 8253 2304 0834 4034 1924 122??4 1504 314
Avec ITT113109129111144149210270??
Taux d’ITT pour 10000 détenus1818211722233241??
  • En collectant et reconstruisant des indicateurs à partir des sources éparses produites par l’Administration Pénitentiaire, il est tout de même possible de suivre les agressions contre le personnel sur une période de 10 ans. On compte depuis 2011 plus de 4 000 agressions physiques chaque année, soit environ une agression pour 6 surveillants chaque année.
  • Quand on se concentre sur les agressions les plus graves, ayant entrainé une ITT, les derniers chiffres disponibles indiquent 270 agressions avec ITT en 2016, soit 1 % des surveillants sur l’année (côté victimes) et 41 agressions pour 10 000 détenus (côté auteurs). Le taux d’agressions avec ITT a fortement augmenté entre 2014 et 2016, ce qui s’explique peut-être par une évolution du mode de collecte par la DAP, mais qui explique aussi peut-être son refus de publier des chiffres sur le sujet depuis plus de 5 ans désormais.

Quel que soit le mode de collecte et ses évolutions dans le temps, il apparait clairement que le métier de surveillant pénitentiaire est fortement exposé au risque de violences physiques, au-delà des agressions verbales.

Pour aller plus loin