Le personnel pénitentiaire : un métier exposé, une charge hétérogène
L’Administration Pénitentiaire compte plus de 36 000 agents, dont environ 27 000 surveillants. Leur travail est au cœur du système pénal puisqu’il permet la bonne exécution des décisions de justice. Pour autant, le Ministère de la Justice peine à combler ses besoins humains, près de 30% des inscrits aux concours de surveillant ne s’y rendent finalement pas, et 7% des postes sont toujours vacants malgré d’intenses campagnes de recrutement. Dans un rapport d’octobre 2020, la Cour des Comptes estime qu’il faudrait 15% de surveillants en plus.
Cette situation ne fait qu’aggraver les difficultés d’une profession déjà en souffrance, avec un métier exposé aux agressions verbales et physiques et qui effectue beaucoup d’heures supplémentaires (environ 10% du total des rémunérations). Elle n’aide pas non plus à résorber des disparités massives dans la répartition des personnels sur le territoire : alors que la charge moyenne est de l’ordre de 2,5 détenus pour un surveillant au niveau national, certains établissements sont confrontés à deux ou trois fois plus de détenus à gérer pour les surveillants
La charge de détenus par surveillant
Un indicateur pertinent pour mesurer la charge de travail des surveillants, reflet de leurs conditions de travail et également des conditions de vie des détenus, correspond au nombre de détenus rapporté au nombre de surveillants. Nous exploitons pour cela les effectifs totaux de surveillants en poste dans chaque établissement (sans tenir compte des roulements, temps de travail réduits ou arrêts maladie par exemple), tels que renseignés dans les derniers rapports de visite disponibles du CGLPL (allant des années 2013 à 2020 selon l’établissement). Nous collectons également le nombre de personnes détenues par établissement à la même date.
- La charge de détenus par surveillant, de l’ordre de 2,5 en moyenne nationale, est très variable d’un type d’établissement à l’autre : dans les établissements axés sur la sécurité, comme les Maisons Centrales (MC), un surveillant gère systématiquement une faible charge de détenus. De même dans les Etablissements Pénitentiaires pour Mineurs (EPM), on compte autant voire plus de surveillants que de détenus (charge par surveillant inférieure à 1). En revanche pour les Maisons d’Arrêt (MA), les Centres de Détention (CD) et les Centres Pénitentiaires (CP), les surveillants doivent généralement gérer un nombre de détenus beaucoup plus grand, avec une charge pouvant régulièrement dépasser les 3 ou 4 détenus par surveillant.
- Cette charge de travail des surveillants varie aussi beaucoup d’une prison à l’autre, pour un même type d’établissement. Entre les Maisons d’Arrêt par exemple, il existe des écarts considérables, la charge par surveillant pouvant aller de 1 à 5, voire de 1 à 10, entre les établissements les mieux et les moins bien dotés.
Ces disparités dans la charge de détenus impactent nécessairement les conditions de travail des surveillants, qui sont parfois très différentes d’un établissement à l’autre. Certaines prisons comme celle de Fresnes ont ainsi beaucoup de mal à attirer des surveillants candidats à la mutation, et doivent se résoudre à recruter quasi-exclusivement des surveillants-stagiaires, tout juste diplômés de l’Ecole Nationale l’Administration Pénitentiaire.
Ces disparités ont aussi des conséquences pour les conditions de détention des détenus. Le manque de surveillants dans un établissement peut entraîner un accès restreint aux parloirs ou aux activités, déshumaniser les rapports entre surveillants et détenus, et laisser plus de place aux agressions et au racket par exemple.
Le personnel en prison : la charge de détenus par personnel administratif
Des disparités similaires se retrouvent concernant la charge des personnels administratifs qui exercent dans les établissements. Là encore, les Maisons d’Arrêt, les Centres de Détention et les Centres Pénitentiaires concentrent les charges de détenus par personnel les plus élevées, et aussi les plus forts écarts au sein d’un même type d’établissement.
Comparaison de la charge des surveillants et des administratifs
- En général, les prisons françaises comptent environ 10 fois plus de surveillants que de personnels administratifs. Cette situation correspond à la droite grise sur le graphique ci-contre : une charge par détenu 10 fois plus élevée pour les personnels administratifs que pour les surveillants.
- Mais dans certains établissements, la charge de travail semble particulièrement élevée pour les surveillants par rapport aux personnels administratifs. Ces prisons sont situées au-dessus de la droite : à la Maison d’Arrêt de Saintes par exemple, la charge des deux types d’agents est pratiquement identique. Cet établissement compte aussi peu de surveillants que de personnels administratifs.
- Dans d’autres établissements, c’est l’inverse : ils apparaissent relativement bien dotés en termes de surveillants, mais mal dotés en termes de personnels administratifs, avec des charges élevées pour ces derniers (comme à la MA de Colmar par exemple). Ces prisons apparaissent en bas à droite du graphique.
Agressions physiques contre le personnel : quels chiffres ?
Les statistiques sur les agressions de détenus à l’encontre du personnel sont parcellaires, changeantes, et donc difficiles à consolider et interpréter – en particulier depuis les années récentes.
Depuis 2015, l’Administration Pénitentiaire indique en effet dans ses Rapports Annuels de Performance (les RAP sont soumis au Parlement et rendus publics) travailler à “la consolidation de ses données en croisant les sources entre les relevés d’incidents des établissements et les déclarations d’ITT faites par les directions interrégionales“. Dans ses RAP récents, la DAP a choisi de ne plus fournir de chiffres sur les agressions physiques avec interruption temporaire de travail (ITT), se contentant de fournir des chiffres globaux mélangeant tous les types d’agressions physiques. D’un RAP annuel à l’autre, les indicateurs statistiques changent d’ailleurs. Enfin, l’Administration Pénitentiaire n’a jamais produit de chiffres sur les agressions plus fins qu’à l’échelle nationale (par direction interrégionale voire établissement par exemple). Tous ces éléments empêchent un suivi précis et rigoureux des violences subies par les personnels en détention. Des critiques similaires pourraient d’ailleurs être faites concernant les violences que subissent les détenus.
L’actuel directeur de la DAP Laurent Ridel a indiqué dans plusieurs prises de parole souhaiter créer un “observatoire des violences en détention”.
Agressions physiques contre le personnel
A partir des données parcellaires publiées par l’Administration Pénitentiaire
année | 2009 | 2010 | 2011 | 2012 | 2013 | 2014 | 2015 | 2016 | 2017 | 2018 |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Agressions | 2 825 | 3 230 | 4 083 | 4 403 | 4 192 | 4 122 | ? | ? | 4 150 | 4 314 |
Avec ITT | 113 | 109 | 129 | 111 | 144 | 149 | 210 | 270 | ? | ? |
Taux d’ITT pour 10000 détenus | 18 | 18 | 21 | 17 | 22 | 23 | 32 | 41 | ? | ? |
- En collectant et reconstruisant des indicateurs à partir des sources éparses produites par l’Administration Pénitentiaire, il est tout de même possible de suivre les agressions contre le personnel sur une période de 10 ans. On compte depuis 2011 plus de 4 000 agressions physiques chaque année, soit environ une agression pour 6 surveillants chaque année.
- Quand on se concentre sur les agressions les plus graves, ayant entrainé une ITT, les derniers chiffres disponibles indiquent 270 agressions avec ITT en 2016, soit 1% des surveillants sur l’année (côté victimes) et 41 agressions pour 10 000 détenus (côté auteurs). Le taux d’agressions avec ITT a fortement augmenté entre 2014 et 2016, ce qui s’explique peut-être par une évolution du mode de collecte par la DAP, mais qui explique aussi peut-être son refus de publier des chiffres sur le sujet depuis plus de 5 ans désormais.
Quel que soit le mode de collecte et ses évolutions dans le temps, il apparait clairement que le métier de surveillant pénitentiaire est fortement exposé au risque de violences physiques, au-delà des agressions verbales.