Le travail en prison : une offre insuffisante, inégale et peu utile à la réinsertion

Ecoutez l’émission “Entendez-vous l’éco” sur France Culture consacrée au travail pénitentiaire et à la préparation à la sortie

Combien de détenus travaillent en prison ?

Entre 1/3 et 1/4 des détenus travaillent chaque mois

En 2020, le travail pénitentiaire concerne près de 20 000 détenus, soit de l’ordre de 28% de la population carcérale. Ce taux est inférieur de près de 8 points au niveau record obtenu en 2001 (36% de détenus travailleurs).  

Le travail pénitentiaire peut prendre trois formes : 

  • Service général : le détenu participe à l’entretien et à la vie de l’établissement pénitentiaire en effectuant des tâches ménagères ou en participant à la cuisine ou à la gestion de la cantine par exemple. En 2020, le service général concentre 52% des postes de travail (environ 10 000 détenus).
  • Concession privée : le détenu travaille pour le compte d’une entreprise privée concessionnaire qui installe des ateliers dans l’établissement pénitentiaire. L’entreprise paie les salaires aux détenus par l’intermédiaire de l’établissement. En 2020, les concessions concentrent 42% des postes de travail (environ 8 000 détenus), mais la crise du Covid a entrainé une baisse conjoncturelle de ces emplois de l’ordre de 25% (Rapport Mazars, 2021).
  • Régie publique : le détenu travaille pour la Régie Industrielle des Etablissements Pénitentiaires (RIEP), gérée par l’ATIGIP, une régie publique constituée de 48 ateliers répartis dans 27 établissements (début 2021). Les détenus produisent des biens destinés à la vente, notamment pour des acheteurs publics comme le Ministère de la Justice (mobilier) et l’Administration Pénitentiaire (uniformes). La régie publique est un employeur très minoritaire en prison, puisqu’elle emploie seulement 1 000 à 1 200 détenus en moyenne (6% des détenus travailleurs), autant qu’il y a 25 ans.

En savoir plus sur les types de postes en atelier

Pourquoi travailler ?

Bien que le travail pénitentiaire puisse préparer les détenus à leur réinsertion, l'accès au travail en détention revêt principalement un enjeu économique immédiat pour les détenus :  pour une part significative d'entre eux, le travail pénitentiaire est le seul moyen de lutter contre la pauvreté et d'avoir des ressources pour cantiner (achats de biens et services en prison). 

Selon une enquête récente d'Emmaüs et du Secours Catholique auprès de 1200 détenus, 16% d'entre eux n’ont aucune ressource financière à leur entrée, et 31% des détenus perçoivent l’aide mensuelle de 20€ versée par l’Administration Pénitentiaire (on parle de détenus "indigents"). Le travail en atelier ou au service général constitue donc bien l'un des seuls moyens de pouvoir améliorer sa situation matérielle en détention. Le statut d'indigence est d'ailleurs un critère prioritaire d'accès aux postes de travail en détention.

« A la base nous sommes sans ressources financières et souhaitons, par le biais de ce travail, pouvoir cantiner. [...] 

Nos relances n’aboutissent pas et nous avons besoin d’argent urgemment » 

Extrait de la saisine 17-50-10 envoyée en 2021 au CGLPL

Ce constat est confirmé par l'analyse statistique des saisines envoyées par les détenus au Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL).

Chaque année, environ 7% des saisines envoyées au CGLPL concernent le travail (soit de l'ordre de 200 saisines par an).

Les principaux motifs d'insatisfaction exprimés par les détenus dans leurs saisines portent sur : 

  • des demandes de classement au travail, qui peut leur être refusé par le chef d'établissement ou prendre beaucoup de temps,
  • des plaintes suite à un déclassement qu'ils jugent injustifié
  • ou encore des problèmes liés à la rémunération (mauvais comptage des heures effectuées, taux horaire très faible, etc.). 

Les autres motifs de saisines en matière de travail pénitentiaire sont beaucoup plus résiduels.

La consommation en détention via la cantine est double de sens pour les détenus : 

  • D'un point de vue pratique, elle permet concrètement d'améliorer les conditions de détention en achetant des aliments, des produits d'hygiène, en louant une télévision ou un frigo, etc. ; 
  • D'un point de vue plus symbolique, le fait de pouvoir consommer permet aux détenus de se distinguer des indigents, les plus vulnérables, et de devenir plus autonomes et indépendants vis-à-vis des surveillants et surtout des autres détenus (en particulier les "caïds" qui monnaient des services contre un peu d'argent et leur protection).

Les disparités massives dans l'accès au travail 

Le Ministère de la Justice ne diffuse pas de statistiques sur la répartition des détenus travailleurs à l'échelle de chaque établissement ou type d'établissement. Cependant, on peut prendre la mesure des disparités dans l'accès au travail d'une prison à l'autre à l'aide de deux sources : les rapports de visite du CGLPL et la plateforme IPRO360° lancée par l'Agence pour le Travail d'Intérêt Général et l'Insertion Professionnelle (ATIGIP). Nous mobilisons ici ces deux sources.

Les rapports de visite des établissements par le CGLPL sont une source précieuse d'informations sur le travail pénitentiaire et ses disparités d'une prison à l'autre. En 2018, l'ancien Contrôleur général Jean-Marie Delarue a résumé les taux de classement au travail (part des détenus qui travaillent ou sont sur liste d'attente) récoltés dans 43 prisons visitées par ses services entre 2008 et 2014. 

En retravaillant ces statistiques, on mesure les très grandes inégalités d'accès au travail entre types d'établissement (MA, CD et MC), mais également au sein d'un même type d'établissement sur le territoire.

  • Entre types d'établissement : le taux moyen de détenus classés au travail est de seulement 24% dans les Maisons d'Arrêt visitées, contre 42% dans les Centres de Détention et 61% dans les Maisons Centrales.
  • Entre établissements d'un même type : c'est entre les 24 Maisons d'Arrêt visitées par le CGLPL que les écarts sont les plus grands (écart-type de 10% pour un taux moyen de 24%). Les taux de détenus classés en MA varient ainsi de 7,9% à 50,5% d'une prison à l'autre, soit un écart de 1 à 6 dans les chances d'accéder à un travail pénitentiaire d'un établissement à l'autre. Dans les CD et les MC, les écarts sont plus modérés mais révèlent tout de même des écarts de 1 à 2 voire 1 à 3 dans les chances d'accéder à un travail pour les détenus.

Des surfaces d'ateliers inégalement réparties

Une deuxième source plus actuelle correspond aux données sur la présence d'ateliers de production en prison. Ces données datant de début 2022 sont mises en ligne par l'ATIGIP sur sa plateforme IPRO 360° afin de promouvoir ses lieux de production en détention auprès d'entreprises privées.

D'après ces données, seuls 35% des prisons françaises disposent d'espace disponible pour accueillir de nouveaux ateliers. Ces 65 établissements sont représentés en vert sur la carte ci-contre. 

22% des établissements ne dispose d'aucun atelier, si bien que la seule source de travail pour les détenus correspond au service général. En général, ce sont plutôt des petits établissements (capacité théorique faible). 

Au total, d'après les données d'IPRO 360°, les ateliers en détention représentent une surface de 187 056 m². En moyenne, cela revient à environ 2,6 m² par détenu. Mais de grandes disparités existent là encore dans cette surface par détenu.

Le graphique ci-dessous montre ainsi que la surface d'atelier par détenu est presque 10x plus grande dans les Maisons Centrales que dans les Maisons d'Arrêt. 

Le tableau de statistiques permet de préciser l'analyse : en rapportant les valeurs minimales, maximales, et les écart-types par type d'établissement, on découvre que les disparités dans la surface d'ateliers par détenu sont grandes. En Maison d'Arrêt, l'écart-type séparant deux prisons prises au hasard est plus grand que la surface moyenne, témoignant d'importants écarts dans l'accès au travail y compris entre personnes détenues dans un même type d'établissement.

Analyse économétrique de la surface d'atelier par détenu

Temps de travail réduits et rémunérations très faibles

Le travail pénitentiaire représente chaque année une masse salariale de l'ordre de 65 millions d'euros. Répartis sur les 19 200 détenus qui travaillent en moyenne, cela correspond grosso modo à des revenus mensuels moyens de 280€ par mois et par détenu-travailleur (en négligeant les charges, très allégées en prison). 

Mais des écarts importants existent selon le type d'employeur en détention : les postes au service général sont généralement les plus mal rémunérés (de l'ordre de 2€ de l'heure) et ceux pour la régie publique sont les mieux payés (environ 5€ de l'heure).

Les faibles revenus mensuels tirés du travail pénitentiaires s'expliquent par la combinaison de deux facteurs : 

  • des salaires horaires très faibles, nettement inférieurs au SMIC et même parfois aux barèmes légaux en vigueur en détention
  • des temps de travail réduits, souvent de l'ordre d'un mi-temps ou d'un 75%, car les heures de travail s'adaptent au rythme de la prison et aux besoins parfois très variables des employeurs.

Taux horaire et temps de travail moyen en 2017

Source : article de Monnery, Montagutelli et Souam (2021), à partir des rapports de la Cour des Comptes (2006, 2011) et du rapport du député Mazars (2021)

Délais pour accéder à l'emploi : quelles disparités entre détenus ?

Les délais entre l'arrivée d'un détenu dans une prison et son accès à l'emploi pénitentiaire sont très variables. La Direction de l'Administration Pénitentiaire a produit en novembre 2022 la première étude statistique sur le sujet, sur une cohorte de 5521 détenus entrés en détention en janvier 2019 et suivie pendant 3 ans.

Part des détenus ayant travaillé au fil des mois

Sur cette cohorte étudiée par la DAP, seuls 1760 détenus (32%) ont travaillé en détention et reçu au moins une fois une rémunération pendant leur incarcération. Cela confirme la rareté des postes de travail.

En termes de délai d'accès au travail (graphique ci-contre), presque aucun détenu n'obtient un poste dès le mois de son incarcération (2,2%). Six mois après leur incarcération, à peine un quart des détenus ont déjà travaillé. Il faut atteindre un an d'incarcération pour qu'environ 1 détenu sur 2 ait travaillé au moins une fois.

La probabilité d'avoir accédé à un travail atteint un plateau autour de 75% au-delà de 2 ans et demi d'incarcération. Parmi les longues peines, la majorité des détenus ont donc un accès au moins temporaire au travail. Mais il faut rappeler que la plupart des détentions concerne des courtes peines, et que les détenus-travailleurs peuvent n'exercer que pour quelques semaines ou mois - qui plus est pour des temps de travail limités et des revenus très faibles (voir ci-dessus).

En savoir plus sur les écarts dans l'accès au travail

Quels effets du travail sur la récidive ?

Le travail pénitentiaire étant aujourd'hui très souvent limité à des postes peu voire pas qualifiés, sur des tâches répétitives (pliage, collage, nettoyage, etc.), on peut craindre que ses effets bénéfiques en termes de réinsertion et de lutte contre la récidive soient assez faibles en France. Mais jusqu'à très récemment, il n'existait aucune étude statistique en France pour le vérifier.

En juillet 2021, une étude sur la récidive du service statistique du Ministère de la Justice a pu mesurer le lien entre le fait de travailler en détention et la probabilité de récidiver dans l'année qui suit la sortie de prison avec au moins une nouvelle infraction commise (données des détenus libérés en 2016). 

L'étude montre que, après avoir tenu compte de nombreuses différences entre les détenus qui ont accès à un travail et les autres (en termes d'infraction commise, de passé pénal, de niveau d'études, et même de santé mentale par exemple), les détenus-travailleurs présentent un risque de récidiver inférieur de 1,8 points de pourcentage dans l'année qui suit leur libération, soit -6% par rapport au taux de récidive moyen de 31% dans l'échantillon. Le travail pénitentiaire semble donc bien avoir une influence bénéfique, quoique relativement modeste, sur la prévention de la récidive.

Ce résultat bénéfique du travail pénitentiaire de l'ordre de -6% en France est très cohérent avec les estimations obtenues en Italie dans une étude de G. ZanellaLe chercheur estime qu'en Italie, l'effet moyen du travail en détention sur le retour en prison est également d'environ -6% dans les trois années post-libération (-3 points sur un risque de réincarcération moyen de 47%). 

L'auteur montre aussi que cet effet bénéfique moyen cache de très grandes disparités entre les très courtes peines (où les revenus du travail peuvent avoir un effet d'aubaine criminogène sur les détenus) et les peines plus longues (où les effets bénéfiques et réinsérants prédominent nettement).

En résumé, il reste encore beaucoup à faire pour le travail pénitentiaire

Ces résultats très encourageants sur les effets du travail pénitentiaire en matière de prévention de la récidive militent pour une augmentation très sensible des efforts budgétaires consacrés par l'Etat français à ces activités qui bénéficient non seulement aux détenus mais aussi à la société toute entière. Ils suggèrent aussi que des résultats encore plus positifs pourraient être obtenus en détention si les postes proposés étaient plus adaptés aux attentes du marché de l'emploi à l'extérieur (métiers plus qualifiés et plus orientés vers le secteur tertiaire notamment).

La vidéo ci-contre propose un bilan sur le sujet et les limites de la  réforme récente du travail pénitentiaire

Pour aller plus loin

En France 

Monnery, B., Montagutelli, A. et Souam, S. (2021) : Economie du travail pénitentiaire : enjeux, constats et recommandations

Drony, E. (2022) : Accès à un premier travail en détention, DAP

Emission "Entendez-vous l'éco" de 2018 sur le travail en prison

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