Des indicateurs du climat en détention

Le climat général en détention peut s’appréhender de deux façons complémentaires :

  • Du point de vue des agents de l’Administration pénitentiaire, à travers les quelque 300 000 incidents qu’ils rapportent chaque année
  • Du point de vue des détenus, via les 3 000 courriers par an qu’ils envoient au CGLPL

Les incidents en détention

Dans le jargon pénitentiaire, les “incidents” sont des fautes disciplinaires enregistrées par les surveillants à l’encontre de détenus dans des compte-rendus d’incidents (CRI). En 2024, plus de 300 000 CRI ont été enregistrés, soit près de 4 par détenu en moyenne.

Les CRI peuvent viser des faits graves, comme une agression physique ou un port d’arme par un détenu, mais aussi des infractions très légères ou aux contours flous, comme ne pas maintenir sa cellule propre (voir plus bas la classification des différentes fautes).

En France en 2024 :

  • 307 000 incidents ont été enregistrés (CRI)
  • 94 000 sont passés en commission de discipline
  • 77 000 sanctions ont été prononcées

À l’échelle d’un établissement, on peut rapporter le volume de CRI au nombre moyen de détenus, pour en tirer une intensité de CRI (ou taux d’incidents) mesurant à quelle fréquence des comportements interdits sont relevés par les surveillants.

Dans le graphique suivant, l’intensité de CRI sur la période 2017-2024 est ventilée d’une prison à l’autre selon le type d’établissement (voir les définitions sur notre page dédiée). Une valeur de 3,7 comme au Centre Pénitentiaire d’Ajaccio par exemple, signifie que l’établissement a enregistré en moyenne 3,7 CRI par année de détention.

Il existe des différences très fortes selon le type d’établissement : le taux d’incidents est maximal auprès des détenus mineurs dans les EPM (20,7 CRI par année de détention), assez élevé en Maisons d’Arrêt et Centres Pénitentiaires, et plus faible dans les établissements pour peine (Centres de Détention et Maisons Centrales).

Des écarts massifs entre types de prison

Au sein d’un même type d’établissement, l’intensité des incidents peut également beaucoup varier : parmi les MA par exemple, certaines prisons connaissent un taux d’incident modéré de l’ordre de 2 CRI par année de détention, contre plus de 5 dans d’autres établissements.

Les saisines auprès du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL)

Une deuxième manière de quantifier le climat général, les tensions et les violences au sein des établissements pénitentiaires est d’observer le nombre de saisines adressées pour ces motifs au CGLPL. Toutes les personnes détenues, ainsi que leurs proches ou leur avocat, peuvent écrire au Contrôleur général pour faire remonter une situation portant atteinte à leurs droits fondamentaux (violences, absence d’accès aux soins ou aux parloirs, etc.).

Le graphique ci-contre montre une diminution tendancielle du nombre de saisines tous motifs confondus, passant de près de 3800 en 2012 à environ 2250 en 2021.

La part des saisines ayant un motif de violence au sens large (incluant aussi des menaces, du racket, des relations conflictuelles, etc.) a toujours été largement minoritaire, oscillant autour de 20 % depuis 2015. Cela représente 500 à 700 saisines par an, soit environ 2 saisines par jour en France, mais moins d’une saisine par an pour 100 détenus.

Qu’est-ce que le CGLPL ?

Saisir ou ne pas saisir le CGLPL ?

Ces faibles chiffres pourraient indiquer que les conflits sont rares en détention. Ils témoignent surtout du fait que les saisines auprès du CGLPL sont peu utilisées par les détenus pour régler les situations conflictuelles entre eux ou avec des agents de l’administration.

En réalité, on compte environ 25 000 sanctions chaque année pour des violences physiques (entre détenus ou à l’égard des surveillants) ou des insultes et menaces (voir plus bas la section sur les sanctions prononcées).

Une corrélation avérée entre les incidents (CRI) et les saisines auprès du CGLPL

Parmi les motifs relatifs à la violence dans les saisines reçues par le CGLPL, certains sont plus fréquents que d’autres : près de deux tiers des saisines mentionnent des relations conflictuelles avec une autre personne détenue ou un membre du personnel. Environ 1 sur 4 est relatif à des faits de menaces, racket ou vols. Enfin, les violences commises par une autre personne détenue sont deux fois plus fréquentes dans les saisines que celles commises par un membre du personnel.

Les fautes et les sanctions en détention

Les fautes disciplinaires

Les comportements susceptibles d’être qualifiés de fautes disciplinaires sont détaillés dans le Code pénitentaire.

Les fautes sont classées en trois catégories, reflétant la gravité des faits reprochés. Les trois menus déroulants présentent les faits pouvant être qualifiés de fautes disciplinaires à l’issue d’une commission de discipline.

Les fautes du 1er degré, les plus graves

Les fautes du 2ème degré

Les fautes du 3ème degré, les moins graves

Le sociologue Corentin Durand met en garde contre le caractère « potentiellement infini, sinon indéfini » de l’éventail des fautes, dans sa thèse de doctorat sur le sujet. Le Conseil d’Etat précise quant à lui que seule une injonction qui « serait manifestement de nature à porter une atteinte à la dignité de la personne humaine » peut légalement être refusée par une personne détenue. Aussi, l’interprétation des intitulés des fautes, telles que décrites dans le Code pénitentiaire, peut amener à désigner sous une même appellation deux évènements très distincts : une pétition visant à alerter sur les conditions de détention peut ainsi être considérée comme « une action collective de nature à perturber l’ordre de l’établissement » (TA Rennes, 10 oct. 2014, n°12052445), au même titre qu’une tentative de mutinerie.

Les fautes les plus couramment sanctionnées chaque année :

~30 000 introductions d’objets interdits (téléphones, stupéfiants, ou autres)

15 000 faits de violences physiques entre détenus ou contre le personnel

12 000 insultes et menaces

Les sanctions disciplinaires

Chaque année, près de 80 000 sanctions sont prononcées par les commissions de discipline des différents établissements (voir plus bas les différentes étapes du processus disciplinaire).

Les sanctions, tout comme les fautes, sont encadrées par le Code pénitentiaire : elles vont de la plus sévère et controversée, le placement au Quartier Disciplinaire ou « mitard », ferme ou avec sursis (environ 70 % des sanctions), à des mesures moins sévères comme l’avertissement ou l’exclusion d’une activité.

Le graphique ci-contre présente les principales sanctions prononcées, leur volume respectif, ainsi que les fautes qui en sont à l’origine.

Un rapide aperçu nous apprend que toutes les fautes ne se valent pas : une violence ou menace à l’encontre du personnel est beaucoup plus sanctionnée (plus de 80 % des détenus sanctionnés vont au Quartier Disciplinaire) qu’un même agissement à l’égard d’un autre détenu (moins de 50 % de QD ferme). Aussi, l’introduction de stupéfiants ou d’un téléphone amène souvent à une peine de QD avec sursis, notamment lorsqu’il s’agit d’une première infraction.

Certaines sanctions semblent questionnables sur leur intérêt pédagogique. Parmi ces dernières, le déclassement, qui consiste à priver le détenu sanctionné du travail qu’il effectuait jusqu’à présent ou encore la suppression du parloir sans séparation, qui peut porter une atteinte au droit au respect de la vie familiale.

Le quartier disciplinaire, une prison dans la prison

Le quartier disciplinaire est de loin la punition la plus courante, représentant environ 70% des sanctions prononcées (peines fermes et avec sursis confondues). Il est rare que le séjour au QD excède les 10 jours, mais il arrive que des détenus y soient placés pendant 30 jours consécutifs. La cellule, dans un état de propreté souvent indécent, parfois sans lumière naturelle, ne comporte qu’un mobilier fixé au sol. Les conditions de détention sont encore plus dégradées : aucune interaction avec les autres détenus, privation d’activités, réduction du nombre d’appels hebdomadaires à 1, hygiaphones lors des parloirs… L’accès à la radio et aux livres se fait souvent à la discrétion du surveillant, laissant le détenu dans une absence totale de distraction à l’intérieur de sa cellule. Les risques de suicide au QD sont multipliés par 15 par rapport au reste de la détention.

Des acteurs en faveur d’une limitation du QD

Une durée maximale de détention QD supérieure à celles des autres pays européens

Les quatre temps de la procédure disciplinaire

En milieu pénitentiaire, la discipline tient une place fondamentale. Jean-Marie Delarue, ancien Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), le qualifie de « modalité de gestion essentielle des personnes détenues » dans son livre sur la prison (Dalloz, 2018). Au-delà de son aspect sanctionnant et dissuasif, la discipline est parfois considérée comme un outil permettant aux détenus de développer leur responsabilité et de se préparer à la réintégration sociale, tout en contribuant à entretenir un climat de détention approprié.

L’activité disciplinaire peut se mesurer aux quatre étapes de la procédure : le compte-rendu d’incident (CRI) rédigé à la suite d’une infraction constatée par un surveillant ; le rapport d’enquête, rédigé par un supérieur hiérarchique, qui vient l’étayer ; la commission de discipline, présidée par le chef d’établissement, au cours de laquelle une décision est rendue, aboutissant le plus souvent à une sanction disciplinaire. Chaque étape est décrite plus bas, et le graphique ci-dessous présente un aperçu de leur volume.

Nous pouvons observer sur ce graphique que les nombres de CRI et de rapport d’enquête n’ont fait qu’augmenter depuis 2018 (en excluant 2020 où le milieu pénitentiaire a été confronté à la crise du Covid-19), ce qui s’explique en bonne partie par la hausse parallèle du nombre de détenus. Concernant les nombres de commissions et de sanctions, l’évolution est bien plus lente et l’année 2024 a même connu moins de sanctions que l’année 2023. Cette différence a entraîné une baisse du nombre de sanctions moyen par CRI : en 2018, 1 CRI sur 3 aboutissait à une sanction, contre 1 sur 4 en 2024. Cette évolution peut s’expliquer par une forme de saturation des commissions de discipline face à la hausse des incidents, et par la pratique des “confusions” de CRI en amont des sanctions.

1. Le compte-rendu d’incident

Lorsqu’un surveillant pénitentiaire relève un agissement susceptible de constituer une faute, ce dernier doit rédiger un compte-rendu d’incident (CRI) indiquant les circonstances de l’évènement. Le CRI doit être rédigé le jour même de l’incident ou au plus tard le lendemain.

En pratique bien sûr, chaque surveillant dispose d’une marge d’appréciation pour juger si tel ou tel comportement justifie un CRI.

Que doit contenir un CRI ?

Des CRI parfois trop éloignés de la réalité

2. Le rapport d’enquête

La plupart des CRI rédigés donnent suite : un responsable, premier surveillant ou officier, doit alors mener une enquête afin de vérifier le contenu du CRI. L’auteur du CRI ainsi que le détenu concerné peuvent être interrogés, et des investigations plus poussées peuvent parfois être menées (auditions de témoins, photographies, visionnage de la vidéosurveillance, test sur des substances saisies, etc.). Dans la plupart des cas, l’enquête reste cependant très superficielle.

Ce rapport est ensuite transmis au chef d’établissement, qui décide de l’opportunité des poursuites disciplinaires : celles-ci peuvent être abandonnées ou donner lieu à un renvoi devant la commission de discipline. Dans les faits, cette tâche est souvent déléguée à un officier, qui opte plus facilement pour un renvoi lorsque l’incident mérite à ses yeux une lourde sanction.

Que doit contenir un rapport d’enquête ?

Des enquêtes jugées superficielles

3. La commission de discipline

S’il y a renvoi devant la commission de discipline (CDD dans le jargon pénitentiaire), le détenu reçoit une convocation l’informant des faits reprochés et de leur qualification juridique. Il peut alors demander la présence d’un avocat le jour de l’audience. La commission de discipline doit se réunir au plus tard six mois après la rédaction du CRI. Les réunions de la commission ont lieu une ou deux fois par semaine environ. Au cours d’une demi-journée, une douzaine d’affaires sont traitées, chaque affaire durant en moyenne une vingtaine de minutes.

La commission est composée du chef d’établissement, disposant de manière exclusive du pouvoir décisionnaire, ainsi que de deux assesseurs : l’un est membre du personnel, l’autre est un assesseur extérieur habilité représentant la société civile.

On compterait environ 800 citoyens assesseurs extérieurs pour intervenir dans les commissions de discipline des quelque 185 prisons françaises. Sans eux, aucune commission de discipline ne peut se tenir légalement.

Focus sur les assesseurs extérieurs

Créée en 2013, l’ANAEC est l’association qui fédère les assesseurs extérieurs en commission de discipline. Elle propose notamment des formations, et permet de créer des lieux d’échanges entre ces derniers.

« Les avocats, en nombre très insuffisant sur l’île, n’interviennent pas dans l’établissement, y compris en commission de discipline ; situation d’autant plus problématique qu’aucun assesseur extérieur n’y participe. » 

Extrait du Rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire de Majicavo (Mayotte), CGLPL, 2023

Le détenu mis en cause peut également être accompagné d’un avocat. Il peut s’agir de l’avocat désigné par le détenu, ou bien d’un avocat commis d’office (les barreaux tiennent généralement des « permanences pénales » à cet effet). Des difficultés accompagnent souvent la défense des détenus comme décrit dans les menus déroulants ci-dessus.

Une présence des avocats parfois compromise

La difficile mise en œuvre de la défense

4. La sanction

Après un court délibéré, le président de la commission rend sa décision. Dans environ 90% des cas, le détenu est sanctionné, avec une forte prédominance du placement au Quartier Disciplinaire.

Même s’il existe des règles protectrices minimales, la commission de discipline n’apporte pas les mêmes garanties qu’un procès pénal : la contradiction prend une place assez faible, les éléments issus de l’enquête sont souvent très limités et à charge, et l’assesseur citoyen ne dispose que d’un rôle consultatif.

Les modalités de recours à l’issue d’une commission

La transmission des éléments du dossier

« Aucun témoin n’est jamais entendu ; il est rarissime qu’un document supplémentaire soit produit et examiné. » 

DELARUE, J.-M., En prison : l’ordre pénitentiaire des choses, chapitre 10 « La discipline en prison », Paris, Dalloz, 2018.

Une “politique disciplinaire” variable entre les établissements

Une variété de pratiques disciplinaires

A chaque étape, les acteurs de la procédure disciplinaire conservent un pouvoir discrétionnaire certain : rédiger ou non un CRI, renvoyer ou non l’incident devant la commission de discipline, puis choisir une sanction plus ou moins coercitive.

La manière dont ces choix sont opérés quotidiennement par les surveillants, les officiers, puis le chef d’établissement, traduit non seulement le comportement général des détenus, mais reflète aussi une “politique disciplinaire” propre qui concerne autant la gestion des détenus que celle des personnels de l’établissement (voir plus bas).

Afin de comparer les pratiques disciplinaires d’une prison à l’autre, nous comparons le nombre de sanctions prononcées au nombre de CRI rédigés. Ce taux de sanction par CRI correspond à la proportion de CRI aboutissant à une sanction disciplinaire : s’il est proche 1, cela implique que chaque CRI enregistré par les surveillants est ensuite suivi d’une sanction par le chef d’établissement.

En pratique, ce taux de sanction par CRI est seulement de 0,25 en 2024 (chiffre en baisse ces dernières années) ce qui témoigne d’un écart très fort entre les incidents tels que relevés par les surveillants, et leur jugement par la commission de discipline. Cet écart peut être source d’incompréhensions et de difficultés de gestion de la détention puisqu’il traduit une différence d’appréciation entre le surveillant et le chef d’établissement.

En 2024, seuls 25 % des CRI ont abouti à une sanction, contre 33 % en 2019


Cela peut traduire une hausse des incidents de faible gravité (donc non sanctionnés) relevés par les surveillants, ou bien une forme de saturation des commissions de discipline qui ne peuvent juger qu’un nombre limité d’incidents et optent parfois pour la “confusion” de plusieurs incidents.

Des taux de sanction très hétérogènes

Le taux de sanction par CRI varie beaucoup d’une prison à l’autre.

Au sein des Maisons d’Arrêt (MA) par exemple, certaines prisons comme Lyon-Corbas ou Angers prononcent très peu de sanctions par rapport aux incidents enregistrés (taux de 0,2) alors que dans d’autres établissements comme Troyes ou Bar-le-Duc, la plupart des CRI sont suivis de sanctions disciplinaires (taux de 0,6). Ces écarts par rapport au taux moyen de 0,33 en MA traduisent nécessairement des différences dans la politique disciplinaire pratiquée localement.

On remarque aussi des spécificités liées au type d’établissement : dans les Maisons Centrales (MC), les sanctions sont fréquentes après un CRI (taux de 0,6), probablement car il s’agit de faits assez rares mais graves, en moyenne. Concernant les détenus mineurs en EPM, les sanctions sont aussi particulièrement fréquentes à l’issue d’un CRI (qui sont eux-mêmes très nombreux pour rappel) ce qui traduit une volonté de fermeté vis-à-vis des mauvais comportements.

Au contraire, dans les Centres de Semi-Liberté (CSL), il est très rare que des sanctions soient prononcées.

Différents acteurs, différents enjeux

Il appartient au surveillant de rédiger un CRI après constatation d’un fait sanctionnable, et au chef d’établissement de décider une sanction à la suite de la commission de discipline. Les motivations à l’origine de ces choix ne sont pas uniquement à chercher dans les faits reprochés aux détenus, mais sont inscrites dans des mécanismes plus larges visant à préserver le bon fonctionnement au sein de l’établissement pénitentiaire et ainsi assurer un climat de détention acceptable. Il s’agit à la fois de satisfaire les attentes des surveillants, exerçant dans des conditions souvent difficiles, et de ne pas faire naître auprès des détenus des sentiments d’injustice trop importants, favorisant les excès de colère et les mouvements de révolte.

Pour les surveillants

Le personnel pénitentiaire peut choisir la manière dont il traite les incidents : punir selon les règles, punir hors des règles, ou ne pas punir. En décidant de fermer les yeux sur certaines infractions, le surveillant participe à un filtre pénitentiaire (difficilement quantifiable). Il se dégage alors une certaine marge d’autonomie vis-à-vis de la direction, et sa relation avec les détenus devient alors moins procédurière.

Un esprit de modération

La nécessité de ne pas tout le temps sanctionner

L’expérience des surveillants

Pour la direction

Le chef d’établissement décide de renvoyer ou non l’affaire en commission de discipline. Aussi, il dispose de manière exclusive du pouvoir décisionnaire en commission. La gestion de la discipline, que l’on peut qualifier de politique disciplinaire, revêt alors un caractère hybride pour lui, dans laquelle ses actions sont autant destinées aux surveillants qu’aux détenus.

Une politique à l’égard des personnels

Un mode de gestion des personnes détenues

La crainte des recours

Analyse économétrique des réponses disciplinaires des établissements

Pour tenter de mieux comprendre les réponses disciplinaires des établissements pénitentiaires français, il est possible d’exploiter les données liées aux procédures disciplinaires. En considérant de nouveau la variable Intensité de CRI, ainsi que l’Intensité de sanction (construite d’après la même méthode), nous pouvons effectuer des régressions multivariées en utilisant une partie des variables de l’indice PCiF (voir la page dédiée). Une telle démarche nous permet d’apprécier l’influence que peuvent avoir ces variables explicatives sur nos deux variables d’intérêt.

Les résultats des deux régressions mettent en avant l’importance du type d’établissement pour expliquer les pratiques disciplinaires. Les significativités des différentes modalités de la variable Type sont élevées, et les coefficients sont importants. Ces observations confirment les conjectures dressées dans la partie sur les indicateurs du climat en détention, où la répartition d’Intensité de CRI était plutôt homogène entre établissements du même type.

On observe en particulier qu’à conditions équivalentes, les CSL et surtout les EPM distribuent davantage de CRI que les autres types d’établissements. Aussi, les établissements pour peine (MC et CD, compris dans l’intercept) ont des coefficients plus faibles que les autres types dans les deux régressions, ce qui indique un emploi relativement restreint au CRI ainsi qu’à la sanction qui s’en suit.

L’Intensité de saisine CGLPL affiche dans les deux régressions un coefficient positif élevé, ainsi qu’une significativité importante dans la seconde régression expliquant. Toutes choses égales par ailleurs, une augmentation de l’intensité des saisines adressées au CGLPL est associée à un usage plus important des outils disciplinaires. En d’autres termes, les établissements où les personnes détenues saisissent davantage le CGLPL sont aussi ceux où les CRI et les sanctions sont plus nombreuses.

Les autres variables explicatives testées lors de cette régression ne sont pas associées à des coefficients importants, ni à de grandes significativités, ce qui indique un effet plutôt nul sur les pratiques disciplinaires. Cette observation peut paraître surprenante, en particulier pour la variable Densité carcérale. L’absence de significativité peut provenir de la surcharge de travail à laquelle sont confrontés les surveillants dans les établissements surpeuplés, où la poursuite des incidents n’est pas possible par manque de temps.

D’autres explications, dont l’observation n’est pas permise par ces données, sont avancées par des acteurs du monde carcéral. Le manque d’activité et d’accompagnement, la saturation des services médicaux, le profil des détenus sont ainsi citées pour expliquer l’augmentation de la réponse pénale. L’utilisation de modèles économétriques afin de déterminer la politique disciplinaire d’un établissement est alors à relativiser.

Sanctionner en dehors du processus disciplinaire

L’infradisciplinaire

Lorsque le surveillant ou l’officier décide de punir hors des règles, il peut recourir à des mesures dites infradisciplinaires. Ces mesures sont alternatives à la procédure disciplinaire, et sont inspirées de dispositifs issus du champ pénal tels que la médiation. Pour être employée, il faut que le détenu reconnaisse les faits qui lui sont reprochés, et qu’il accepte de se soumettre à une « mesure de réparation ».

L’infradisciplinaire est souvent mis en avant pour son attention plus portée sur la pédagogie et la responsabilisation du détenu. Les mesures infradisciplinaires présentent d’autres avantages conséquents :

Pour les détenus

L’infradisciplinaire permet d’éviter un passage en commission disciplinaire, qui aboutit souvent à un séjour au QD. Les mesures de réparation liées à l’infradisciplinaire sont moins punitives que les sanctions disciplinaires. En outre, l’incident ne sera pas notifié au juge de l’application des peines.

Pour les surveillants

Avec l’infradisiciplinaire, les surveillants ou officiers obtiennent de manière presque sûre une réparation liée à l’incident (contre environ une 1 chance sur 4 à la suite d’un CRI). Aussi, leurs liens relationnels avec les détenus ne sont pas nécessairement rompus, et les détenus peuvent présenter des excuses.

Pour la direction

En plus de participer à une amélioration du climat de détention, la résolution des incidents par des mesures de réparation ne nécessite pas d’attention particulière pour la direction. En effet, aucune commission n’est à prévoir et aucun document administratif n’est à produire.

Une possible réduction de garanties

Les mesures de réparation prévues par le code pénitentiaire

La multi-sanction


Les poursuites disciplinaires précédemment énoncées sont propres au système pénitentiaire, et ne sont pas incompatibles avec d’éventuelles sanctions supplémentaires, provenant de l’établissement pénitentiaire lui-même ou bien d’autres institutions. Ainsi, un détenu peut, pour le même fait, recevoir une sanction disciplinaire, une sanction informelle, une privation d’activité et de formations, un changement de régime de détention, un retrait de crédit de réduction de peine, ou encore une nouvelle condamnation pénale.

La question du cumul des sanctions

Au sein de l’établissement pénitentiaire

Au-delà de l’infradisciplinaire et de ses mesures de réparation suivant un certain protocole, l’établissement pénitentiaire dispose d’un large éventail de sanctions informelles, reposant sur l’utilisation arbitraire du droit. Un détenu au comportement jugé dérangeant, et ce à la suite d’un ou plusieurs incidents, peut ainsi subir un traitement différencié, pouvant s’apparenter à des sanctions : réveils en pleine nuit, fouilles plus fréquentes, oubli d’accompagnement par un surveillant lors des parloirs et des rendez-vous médicaux, divulgation du motif de l’incarcération… Ces mesures sortent de tout cadre juridique, et participent à un mauvais climat de détention

Les « transferts disciplinaires »


« L’après-midi j’avais deux activités et une consultation chez le dentiste. Je me suis préparé. Mais ils sont venus et m’ont dit : “Comme tu as bouché ton œilleton ce matin, on ne te fait pas sortir.” »

Témoignage d’un détenu dans le Rapport d’enquêtes Au cœur de la prison : la machine disciplinaire de l’OIP-SF (Janvier 2024)

Auprès du Juge de l’application des peines (JAP)

« Tous les dossiers où il y a eu un incident avec le prononcé d’une sanction sont analysés en commission d’application des peines et peuvent donner lieu à des retraits de réduction de peine. […] C’est un peu dans un automatisme. »

Témoignage d’une directrice d’établissement dans La délinquance carcérale au prisme des peines internes, IERDJ, 2024

La situation de chaque détenu est examinée par la Commission d’application des peines (CAP) au moins une fois par an. Lors de cette commission, le JAP peut prononcer une réduction de peine à condition que le détenu ait montré des preuves suffisantes de bonne conduite, et qu’il ait manifesté des efforts sérieux de réinsertion. 

Cependant, les incidents de chaque détenu sont inscrits dans son dossier, ce qui va grandement influencer les avis du chef d’établissement et du représentant des surveillants siégeant à la CAP, qui sont récoltés avant la décision du JAP. L’appréciation discrétionnaire de l’établissement intervient de nouveau ici, ce qui peut valoir au détenu un refus de réduction de peine, un refus de permission de sortie, ou encore un retrait total ou partiel d’une réduction de peine précédemment accordée. Par ailleurs, les CAP sont, contrairement aux commissions de discipline, exemptes de la présence d’avocat, d’assesseur extérieur et du détenu concerné. La place laissée au débat contradictoire est alors très réduite.

Qu’est-ce qu’une commission d’application des peines ?

Le recours informel au barème

Auprès du tribunal judiciaire

Lorsque l’incident commis par le détenu est qualifiable d‘infraction pénale, il est théoriquement transmis au Procureur de la République qui peut engager ou non des poursuites, celles-ci aboutissant alors généralement à une nouvelle condamnation pénale prononcée par le tribunal correctionnel.

Les risques associés au dépôt de plainte

« Dès qu’il y a agression, en général les agents ils portent plainte. Pour les insultes, non. Je vais pas vous dire que c’est banalisé, mais malheureusement, en tous cas ils vont faire l’objet d’un compte-rendu d’incident. »

Témoignage d’un responsable RH dans La délinquance carcérale au prisme des peines internes, IERDJ, 2024

Pour aller plus loin

DELARUE, J.-M., “En prison : l’ordre pénitentiaire des choses”, chapitre 10 « La discipline en prison », Paris, Dalloz, 2018.

DURAND, C., “Les reconfigurations de la relation carcérale : sociologie des espaces de communication entre prisonnier·e·s et autorités pénitentiaires”, thèse de doctorat en sociologie, EHESS, 2019.

FOUCHARD, I., SIMON, A., DURAND, C. & LEVY, B. “La délinquance carcérale au prisme des peines internes” (Doctoral dissertation, IERDJ-Institut des Études et de la Recherche sur le Droit et la Justice), 2024.

OIP-SF. “Au cœur de la prison : la machine disciplinaire” (Rapport d’enquête), Janvier 2024.

ROSTAING, C. “L’ordre négocié en prison: ouvrir la boîte noire du processus disciplinaire.” Droit et société87(2), pp.303-328.

Centre de recherches sur les droits fondamentaux et les évolutions du droit (Caen), “Surveiller et punir, surveiller ou punir?: perspectives de la peine privative de liberté”, L’évolution de la discipline pénitentiaire, p.43-48, Presses universitaires de Caen, 2004.