Peines prononcées, exécutées, aménagées : quels écarts ?

Au stade du prononcé : quels écarts dans les peines prononcées ?

Pour des faits et des profils de prévenus similaires, les écarts de peine d’un tribunal à l’autre peuvent être importants, y compris lorsqu’il s’agit de faits très homogènes et de tribunaux voisins.  C’est ce qu’illustrent les données relatives à 4 000 infractions routières (essentiellement des conduites en état alcoolique, des défauts de permis de conduire et des défauts d’assurance) récoltées dans 7 tribunaux du sud-est de la France. Cette collecte a été menée dans le cadre du projet de recherche sur “La barémisation de la justice pénale” (2016-2019) financé par le GIP Droit & Justice du Ministère de la Justice.

Ecarts estimés dans la nature des peines prononcées d’un tribunal à l’autre, à affaire équivalente

Sur les graphiques ci-contre apparaissent les écarts estimés entre tribunaux dans la probabilité de subir une condamnation à une amende, une peine probatoire de milieu ouvert (sursis, sursis avec mise à l’épreuve, TIG, etc.) ou une peine de prison ferme. L’un des tribunaux (le TGI 4, le plus grand de notre échantillon) sert de référence pour comparer les tribunaux entre eux. 

Ces comparaisons entre tribunaux, effectuées à l’aide de modèles économétriques (Probits ordonnés généralisés), tiennent compte des caractéristiques principales de chaque affaire, en particulier le type d’infraction, le passé pénal de son auteur (état de récidive, réitération, ou aucun antécédent), sa situation professionnelle, son sexe et son âge. Ces travaux ont été développés et affinés dans un article académique publié en 2022 (Melcarne, Monnery & Wolff, 2022).

Les résultats font apparaître de grandes différences dans les types de peines prononcées entre tribunaux voisins. Pour des affaires équivalentes, les TGI 1 et 2 recourent beaucoup plus que le TGI de référence aux peines probatoires par rapport aux peines d’amende. L’écart est considérable puisqu’il est de l’ordre de 15 points de pourcentage.

Concernant le choix d’opter pour une peine probatoire ou une peine de prison ferme, le TGI 4 de référence a une pratique intermédiaire. Certains tribunaux recourent moins aux peines fermes, marquant leur préférence pour les peines de milieu ouvert (TGI 1 et 3)  ; d’autres tribunaux recourent au contraire plus aux peines fermes comme le TGI 6. 

En comparant les deux tribunaux les plus extrêmes en termes de recours à l’emprisonnement (TGI 3 contre TGI 6, éloignés de seulement 90 kilomètres), on estime un écart dans la probabilité de subir une peine de prison ferme de l’ordre de 10 points de pourcentage, soit quasiment un doublement du risque individuel d’emprisonnement pour des affaires et des profils similaires.

Les écarts de sévérité entre tribunaux voisins apparaissent également dans les quantums des peines prononcées (montant des amendes, durées de peine de prison ou de SME, etc.).

Au stade de la mise à exécution : Comment les peines d’emprisonnement sont-elles exécutées ?

Quand une peine d’emprisonnement ferme est prononcée par un tribunal, se pose la question de sa mise à exécution : le condamné est-il renvoyé sur le champ en prison (on parle de mandat de dépôt ou de maintien en détention), laissé libre en attendant une future incarcération, ou bien bénéficiera-t-il d’un aménagement ou d’une conversion de sa peine (pour l’exécuter sous la forme d’un bracelet électronique ou d’un travail d’intérêt général par exemple) ?  

De moins en moins de peines d’emprisonnement qui s’effectuent en prison…

Sous l’effet des évolutions législatives, la part des peines d’emprisonnement ferme qui sont effectivement exécutées en prison lors de leur mise à exécution (par un mandat de dépôt à l’issue du procès par exemple) n’est plus que de 60% en 2022, en baisse rapide depuis 2019 (-7 points).  

Par opposition, 40% des peines de prison ferme qui sont mises à exécution sont donc désormais aménagées ou converties par les juges avant toute incarcération. La modalité d’exécution la plus fréquente de très loin consiste en un aménagement de peine sous bracelet électronique (DDSE), qui représente en 2022 le mode d’exécution de 32% des peines de prison ferme.   

Les autres options juridiques, comme la conversion en un travail d’intérêt général (TIG), en jours amende (JA) ou le placement en semi-liberté (SL), sont bien plus marginales (8% des peines en 2022, contre 12% en 2019).

> Ces évolutions rapides depuis 2019 témoignent des injonctions législatives de plus en plus fortes pour inciter les magistrats à éviter au maximum l’incarcération, même quand une peine de prison ferme a été prononcée par le tribunal. Depuis 2019 en particulier, les peines d’emprisonnement de 6 mois ou moins doivent obligatoirement être aménagées par le tribunal.

... Mais de plus en plus de peines qui aboutissent à une incarcération immédiate

Une autre évolution, qui peut sembler paradoxale, s'observe dans le même temps : depuis dix ans, la part des peines de prison qui font l'objet d'une incarcération immédiate ou quasi-immédiate augmente nettement (maintien en détention, mandat de dépôt, ou mandat à effet différé). 

Le graphique montre que ces incarcérations à l'issue de l'audience représente 36% des peines fermes prononcées en 2022, contre 27% en 2014.

Cette tendance s'explique largement par l'augmentation du nombre de jugements en comparutions immédiates et le recours croissant à la détention provisoire.

> Pour résumer, on assiste donc depuis dix ans en France à deux évolutions conjointes : d'un côté, une hausse notable de la part des peines de prison qui entraînent une incarcération immédiate, et dans le même temps une hausse de la part de celles qui sont aménagées avant incarcération. Il y a donc de moins en moins de peines d'emprisonnement qui font l'objet d'une mise à exécution retardée : soit les juges incarcèrent rapidement, soit les juges aménagent !

Les modes d'exécution selon la taille des tribunaux

Le graphique suivant fait apparaitre les différents modes d'exécution des peines de prison selon les groupes de Tribunaux Judiciaires : les tribunaux sont classés en 4 groupes par le Ministère selon leurs volumes d'activité (groupe 1 = très grands tribunaux ; groupe 4 = petits tribunaux). 

Dans les tribunaux de groupe 1, comme le TJ de Paris ou de Marseille par exemple, l'exécution des peines de prison ferme s'effectue dans 64% des cas sous la forme d'une incarcération ou d'un maintien en détention. Cette proportion est plus faible dans les autres groupes de juridiction et diminue graduellement : 60% dans le groupe 2, 58% dans le groupe 3 et 56% dans le groupe 4. Pour un condamné à une peine de prison ferme, cela veut donc dire que, entre grands et petits tribunaux, il existe des écarts non-négligeables dans la probabilité de commencer sa peine de prison derrière les barreaux, plutôt que sous la forme d'un aménagement ou d'une conversion de peine (bracelet électronique, semi-liberté, travail d'intérêt général, etc.).

Ces disparités entre tribunaux peuvent à nouveau paraître contre-intuitives quand on sait la moindre sévérité des grands tribunaux en règle générale. En réalité, ces écarts s'expliquent pour beaucoup par les procédures de comparution immédiate qui sont plus fréquentes dans les tribunaux du groupe 1. Or ces audiences rapides sont très souvent suivies d'incarcérations (c'est souvent l'objectif du parquetier qui choisit cette voie procédurale) : elles aboutissent généralement à des peines de prison avec mandat de dépôt ou maintien en détention, contrairement aux autres procédures de jugement plus classiques (CPPV, COPJ, etc.).

L'exécution se joue de plus en plus dès l'audience : les aménagements ab initio

En matière de mise à exécution des peines de prison ferme, l'essentiel se joue désormais dès l'audience : au moment de se prononcer sur la culpabilité et la peine, les juges vont également de plus en plus définir la manière dont celle-ci sera mise à exécution : sous la forme d'une incarcération immédiate (en cas de comparution immédiate notamment), ou sous la forme d'un aménagement de peine ab initio (dès l'audience, avant écrou)

Le développement très rapide de ces aménagements ab initio (ou AAI) apparaît ci-contre. En quelques années, la part des peines aménageables qui sont effectivement aménagées par les juges dès l'audience est passée de 3% en 2019 à 28% en 2022 - et même plus de 30% aujourd'hui.

L'augmentation rapide du nombre d'AAI s'explique par l'entrée en vigueur en 2020 de la loi du 23 mars 2019 qui rend obligatoire l'aménagement des peines d'emprisonnement ferme inférieures ou égales à 6 mois - et incite très fortement à aménager les peines jusqu'à 12 mois.

Au stade de l'aménagement des peines : des écarts entre tribunaux et régions

Les aménagements ab initio, dès l'audience

L'aménagement des courtes peines dès l'audience (ou ab initio) a fortement crû en France ces cinq dernières années. Mais cette évolution n'est pas uniforme sur tout le territoire. D'un TJ à l'autre, des écarts importants existent dans la probabilité de voir sa peine de prison aménagée directement par le tribunal.

Les cartes ci-contre représentent la proportion d'aménagement ab initio parmi les peines aménageables dans chaque tribunal judiciaire (du plus clair au plus foncé), ainsi que le volume de condamnations (taille du cercle) entre 2019 et 2022 en France métropolitaine. Si la hausse des aménagements ab initio s'observe partout en France, il existe toutefois une forte hétérogénéité selon les juridictions : en 2022, alors que 10% des TJ octroient des AAI dans plus de la moitié des cas, 10% n'en octroient que dans un cas sur dix.

Les aménagements décidés par les JAP en procédure 723-15

L'aménagement dès l'audience des courtes peines a contribué à réduire le nombre de saisines du Juge d'application des peines (JAP) puisque la décision d'aménagement est souvent déjà prise en amont. Cependant, les JAP continuent à devoir se prononcer sur bon nombre de peines potentiellement aménageables avant écrou (il s'agit de la procédure 723-15 du code de procédure pénale). Et ici aussi, le taux d'octroi d'aménagements a légèrement augmenté sur la même période. Le graphique ci-dessous représente les taux d'octroi d'aménagement de peine par le JAP avant la mise à exécution de la peine pour chacun des 168 tribunaux judiciaires de France en fonction de leur groupe. Dans l'ensemble, la proportion d'aménagements de peine octroyés par les juges d'application des peines est en hausse : entre 2016 et 2022, le taux moyen par TJ passe de 84% à 87%.

Les tribunaux judiciaires du groupe 1 (ceux avec le plus gros volume d'activité) ont en moyenne des taux d'octrois supérieurs sur l'ensemble de la période (plus de 90%) aux autres groupes. Il a été vu précédemment que les juridictions du groupe 1 avaient une plus forte proportion d'exécution de peines en incarcération, car ces juridictions utilisent des procédures qui engendrent plus de mandats de dépôt, mais lorsqu'il est saisi, le JAP accorde davantage d'aménagements. 

La moyenne des taux d'octrois des groupes 2, 3 et 4, initialement plus faible, croît plus rapidement que celle du premier groupe (respectivement 4% et 3% de croissance entre 2016 et 2022). L'augmentation globale du taux d'octroi des aménagements par les JAP s'accompagne donc d'un phénomène de convergence entre grands et petits tribunaux (le coefficient de variation entre TJ diminue de  0,10 à 0,08 sur la période).

Au global, un poids variable des peines aménagées d'une région à l'autre

Compte tenu des différences en matière de mise à exécution des peines (mandat de dépôt, aménagement ab initio) et d'aménagements de peines décidés par les magistrats avant ou pendant la détention, il existe in fine des écarts d'une région à l'autre dans le poids des aménagements. Le tableau ci-contre montre la répartition, d'une direction interrégionale (DISP) à l'autre, des personnes écrouées au 1er mars 2023 entre le milieu fermé (la détention) et le milieu ouvert (surveillance électronique, semi-liberté ou placement extérieur). 

On peut schématiquement distinguer deux groupes, avec d'un côté les DISP de Paris, Lyon, Marseille, et de l'autre celles de Bordeaux, Lille et de Outre-mer : dans le premier groupe de DISP, qui regroupe les juridictions les plus grandes et avec la plus forte activité délinquante, seuls 76% des écroués sont des détenus ce qui implique que 24% des écroués sont en aménagement de peine en milieu ouvert. A l'inverse, dans le deuxième groupe de DISP, les écroués sont plus souvent détenus (81%, +5 points) et bénéficient donc moins fréquemment d'un aménagement de peine (19% des écroués).

Ces écarts s'expliquent par un recours différencié entre régions à la semi-liberté et à la surveillance électronique, le placement extérieur étant quant à lui négligeable dans toutes les régions. La semi-liberté (SL) est beaucoup plus fréquente à Paris et Lyon qu'en outre-mer par exemple, en bonne partie car les places en CSL et QSL sont plus abondantes dans les grandes métropoles qu'en outre-mer. Mais ces disparités dans le taux d'écroués bénéficiant d'un aménagement en milieu ouvert peuvent aussi s'expliquer par d'autres contraintes auxquelles sont confrontés les magistrats (comme la surpopulation carcérale locale) ou par leurs pratiques professionnelles qui s'adaptent à la délinquance locale : une délinquance locale massive et de forte gravité pourra inciter les magistrats à être plus conciliants avec les infractions de moindre gravité, et donc plus enclins à aménager des peines d'emprisonnement, par rapport à une autre juridiction où la délinquance est moins intense et de moindre gravité.

Le bracelet électronique, aménagement pour tous ?

Depuis 2004, le développement des aménagements des peines d'emprisonnement est devenu un élément central de la politique pénale. Le graphique ci-contre met en évidence la montée en puissance de la surveillance électronique (DDSE, auparavant appelée PSE) parmi l'ensemble des mesures d'aménagements de peines accordées par les magistrats - en particulier les juges d'application des peines (JAP). 

Aujourd'hui, près de 85% des personnes en aménagement de peine sont placées sous le régime de la surveillance électronique : de 29,5% en 2005, la part du bracelet électronique est passée à 84% en 2022. 

Pendant cette même période, les mesures "traditionnelles" d'aménagements de peines que sont la semi-liberté et le placement à l'extérieur régressent fortement : la semi-liberté représentait par exemple 50% des aménagements en 2005, mais seulement  10% en 2022. La surveillance électronique s'est progressivement imposée dans les pratiques comme la solution principale pour limiter la surpopulation carcérale et préserver l'insertion sociale des condamnés. Le bracelet électronique est notamment considéré comme plus facile à mettre en place, pour les juges et les SPIP, qu'une semi-liberté ou un placement à l'extérieur. Son efficacité dans la lutte contre la récidive n'a cependant pas fait l'objet d'une évaluation depuis vingt ans (la seule évaluation par Anaïs Henneguelle et Benjamin Monnery portant sur la période 2000-2003).

En fin de peine : une libération sous contrainte vraiment "de plein droit" ?

Une des dernières mesures pour lutter contre la surpopulation carcérale est la libération sous contrainte (LSC) de plein droit. Ce dispositif, entré en vigueur en janvier 2023, prévoit une sortie de détention encadrée par le SPIP trois mois avant la fin de la peine, pour les détenus condamnés à une peine inférieure ou égale à deux ans et qui n'auraient pas obtenu d'aménagement ou de LSC de droit commun. 

Dans la loi, cette LSC de plein droit à 3 mois de la fin de peine doit être accordée par les JAP sauf impossibilité matérielle liée à l'absence de logement pour le détenu. Mais dans la pratique, certains JAP appliquent d'autres critères de sélection ou d'exclusion... En moyenne sur les 5 premiers mois de 2023, seules 50% des LSC de plein droit étaient accordéesDe plus, les LSC de plein droit n'interviennent pas en moyenne à trois mois de la fin de peine, mais plus tard.

Enfin, cette réforme de la LSC dite "de plein droit à 3 mois" est appliquée de manière hétérogène sur le territoire.

Comme le montre le graphique ci-contre (issu d'un rapport des députées Abadie et Faucillon, p99), le taux d'octroi de la LSC de plein droit parmi tous les dossiers étudiés en commission d'application des peines (CAP) varie fortement d'une direction interrégionale à l'autre

Au premier semestre 2023, les DISP de Toulouse et de Paris ont des taux d'octroi particulièrement faibles, de l'ordre de 40%, alors qu'elles sont pourtant les plus densément occupées (plus de 130%). A l'inverse le taux d'octroi est proche de 60% dans les DISP de Rennes et Lyon par exemple. 

Ces écarts peuvent s'expliquer naturellement par des pratiques différentes en matière de LSC de plein droit sur le territoire, mais peuvent aussi découler d'autres écarts de pratiques en amont en matière d'aménagements de peine ou de LSC classique (créant un effet de composition).

> Au total, cette réforme qui visait à automatiser les libérations anticipées pour réduire la surpopulation (le gouvernement tablait sur -6000 détenus dans son étude d'impact) n'a que des effets modestes, et hétérogènes sur le territoire.

Pour aller plus loin

Léonard, T. (2015) : Le jugement pénal, reflet des inégalités territoriales, Champ Pénal vol. 22.